Des millions d’électeurs handicapés de l’UE ne seront pas en mesure de voter lors des élections au Parlement européen

Selon un rapport du CESE, aucun État membre n’a veillé à rendre les élections accessibles à tous en raison des nombreux obstacles juridiques et techniques qui subsistent partout dans l’Union

Le 20 mars dernier, le Comité économique et social européen (CESE) a publié un rapport d’information qui présente un état des lieux complet en ce qui concerne le droit de vote des personnes handicapées aux élections du Parlement européen.

Le rapport intitulé «La réalité du droit de vote aux élections européennes pour les personnes handicapées» montre que malgré le fait que de nombreux actes juridiques contraignants protègent les droits des personnes handicapées dans l’Union, des millions d’entre elles n’auront pas la possibilité ou l’autorisation de voter au printemps, ou rencontreront à tout le moins des difficultés à le faire.

Krzysztof Pater, membre polonais auteur du rapport, déclare: Ce rapport montre une image peu glorieuse de l’Europe, une réalité qui est bien loin de nos attentes, des actes juridiques internationaux de base et des déclarations politiques.

M. Pater évoque la campagne électorale lancée récemment par le Parlement européen et son slogan «Cette fois, je vote» pour affirmer: Il semble que pour les responsables politiques et les médias, le seul problème soit de savoir comment motiver les citoyens de l’UE pour voter. Et pourtant, de nombreux citoyens handicapés en sont réduits à cette constatation: une fois de plus, je ne pourrai pas voter à cause des obstacles techniques qui existent encore dans mon pays. Ou: une fois de plus, je ne serai pas autorisé à voter en vertu du droit national de mon pays.

Selon le rapport, des millions de citoyens n’auront pas la possibilité de voter en raison d’obstacles techniques dans les bureaux de vote qui ne tiennent pas compte des besoins liés à leurs divers types de handicap.

En outre, l’on estime que quelque 800 000 citoyens de l’Union présentant des problèmes de santé mentale ou ayant une déficience intellectuelle seront privés de leur droit de vote en raison de règles nationales en vigueur dans 16 États membres, ce que le CESE juge particulièrement préoccupant.

Dans neuf pays de l’Union, ces personnes perdent automatiquement leur droit de vote lorsqu’ils se voient retirer leur capacité juridique ou lorsqu’il leur est désigné un tuteur. Selon sept législations nationales, leur capacité de vote est évaluée individuellement par un tribunal ou un conseil médical.

Les procédures relatives au retrait du droit de vote varient considérablement d’un État membre à l’autre. Dans certains pays, ces procédures ne visent que les personnes se trouvant dans une situation médicale très grave, sans aucune possibilité d’entrer en contact avec autrui, alors que dans d’autres, des milliers de personnes doivent passer par un processus compliqué qui comprend parfois même un test de connaissances générales avec des questions relatives à la physique ou à l’histoire (par exemple: «Quelle est la vitesse de la lumière?» ou «Qui était la Grande Catherine?»).

Les chiffres sont également très variables: si au Portugal seules quelque 100 personnes ne peuvent faire usage de leur droit de vote, ce chiffre s’élève respectivement à 82 000 et 90 000 personnes en Allemagne et en Pologne.

En ce qui concerne les obstacles techniques, les États membres abordent la question de l’adaptation des bureaux de vote de manière très différente. Dans six pays, il n’existe pas de règles relatives à l’accessibilité des bureaux de vote pour les personnes handicapées. Et si onze pays appliquent le principe général selon lequel tous les bureaux de vote doivent être adaptés, il s’avère toutefois que cette accessibilité est conçue de manière assez étroite en pratique.

Les autorités publiques qualifient souvent un bureau de vote comme étant "accessible" uniquement si une personne en fauteuil roulant peut y accéder, sans tenir compte des besoins des personnes ayant de nombreux autres types de handicap. La grande majorité des bureaux de vote dans l’UE n’est pas adaptée, en tout ou partie, aux besoins des personnes présentant différents types de handicap, affirme M. Pater.

Dans pas moins de 18 États membres, les électeurs aveugles n’ont aucune possibilité de voter de manière indépendante. Dans huit États membres, il n’existe pas d’autres formes de vote, telles que le vote par correspondance, le vote électronique ou le vote à l’aide d’une urne mobile. Dès lors, toute personne qui se trouve physiquement dans l’impossibilité de se rendre au bureau de vote ne pourra pas exprimer son suffrage. Dans douze pays, les règlementations nationales ne permettent pas aux électeurs de changer le bureau de vote assigné sur la base du lieu de résidence pour un autre qui soit mieux adapté.

Le rapport dresse un tableau sombre, mais offre malgré tout une lueur d’espoir. Il recense 200 exemples de bonnes pratiques et de solutions positives que l’on trouve dans chaque État membre.

Par exemple, la Roumanie permet aux électeurs d’apposer à côté du nom du candidat un cachet au moyen d’un tampon obtenu auprès de la commission électorale. En Lituanie, les autorités proposent une carte en ligne qui recense les bureaux de vote les mieux adaptés aux électeurs à mobilité réduite. En Estonie, tous les citoyens peuvent voter par voie électronique. Les électeurs danois ont la possibilité de voter de manière anticipée, dans un délai allant de trois semaines à deux jours à l’avance, dans des bureaux de vote déterminés.

Le rapport énumère également les évolutions positives les plus récentes dans les pays, par exemple, l’abrogation du retrait automatique du droit de vote à tous les citoyens placés sous tutelle.

Lors de la session plénière ce mercredi, les membres du CESE ont voté en faveur de la diffusion du rapport auprès des institutions européennes, des gouvernements nationaux ainsi que des ONG représentant les personnes handicapées ou spécialisées dans la défense des droits de l’homme.

M. Pater précise que le rapport ne visait nullement à critiquer quelque État membre de l’UE que ce soit. Le CESE espère que, grâce à ses exemples positifs, ce rapport aidera les décideurs, tant au niveau de l’UE qu’au niveau national, à élaborer des solutions globales permettant de lever les obstacles juridiques et techniques qui empêchent ces citoyens de l’Union, dont le nombre est loin d’être négligeable, d’exercer leurs droits fondamentaux. Il devrait également être utile aux ONG qui luttent pour le droit de vote de ces personnes au niveau national.

Si l’on mettait en œuvre les bonnes pratiques de tous les pays, l’on obtiendrait un système idéal dans lequel chaque citoyen de l’Union handicapé jouirait non seulement de la plénitude de son droit de vote, mais serait également en mesure de choisir la manière qui lui convient le mieux de participer au scrutin, réaffirme M. Pater.

Je crois que ce rapport contribuera à créer les règles qui garantiront qu’aucun citoyen de l’Union ne soit privé de son droit de vote aux élections européennes de 2024, conclut M. Pater

Contexte:

Le rapport a été établi sur la base d’enquêtes réalisées entre 2016 et fin 2018 dans tous les États membres de l’UE, à l’exception du Royaume-Uni. Les informations qu’il comporte ont été fournies pour l’essentiel par les pouvoirs publics chargés du processus électoral et des ONG représentatives ou d’aide aux personnes handicapées, mais aussi par des députés au Parlement européen et des représentants du Forum européen des personnes handicapées.

Liens:

Le rapport est disponible dans son intégralité et dans toutes les langues de l’UE à l’adresse suivante: https://www.eesc.europa.eu/en/our-work/publications-other-work/publications/real-rights-persons-disabilities-vote-european-parliament-elections-information-report

Le résumé du rapport (une brochure) en anglais, français, allemand, espagnol, italien et polonais est disponible à l’adresse suivante: https://www.eesc.europa.eu/fr/our-work/publications-other-work/publications/la-realite-du-droit-de-vote-aux-elections-europeennes-pour-les-personnes-handicapees-rapport-dinformation

Le rapport sur l’audition relative à l’accessibilité de tous aux élections européennes est disponible à l’adresse suivante (en anglais, français et italien): https://www.eesc.europa.eu/fr/news-media/news/il-ne-faut-negliger-la-moindre-mesure-pour-garantir-laccessibilite-de-tous-aux-elections-europeennes