Santé et sécurité au travail : Les nouveaux risques professionnels appellent un dialogue social fort

Le dialogue social représente un outil important pour garantir la santé et la sécurité au travail. Il faudra néanmoins le renforcer dans toute l’Europe pour faire face aux changements que connaît le monde du travail en raison de la crise sanitaire et de la transition numérique et écologique. Ce dialogue devrait être assorti de règles plus strictes concernant les troubles musculo-squelettiques et les risques psychosociaux à l’origine de graves maladies professionnelles, telles que cardiopathies, accidents vasculaires cérébraux, cancers et dépressions.

Alors que la numérisation du travail a fait évoluer les risques professionnels, en accroissant la prévalence des lésions imputables à un manque d’ergonomie et celle des pathologies liées au stress et à l’épuisement professionnel, tout en diminuant légèrement le nombre d’accidents du travail, le dialogue social reste un outil incontournable pour promouvoir la santé et la sécurité au travail (SST).

Cependant, la qualité de ce dialogue varie d’un État membre à l’autre, de sorte que les accords autonomes en matière de SST conclus par les partenaires sociaux ne sont pas toujours appliqués de la même manière au sein de l’Union.

Selon le Comité économique et social européen (CESE), il faudrait renforcer le dialogue social européen pour garantir une protection uniforme de tous les travailleurs de l’Union. Les partenaires sociaux jouent un rôle essentiel pour soutenir le rythme des changements qui se profilent dans le monde du travail. 

La Commission européenne devrait donc définir des critères clairs pour veiller à ce que les accords signés par les partenaires sociaux soient mis en œuvre dans tous les États membres, compte tenu notamment de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne selon lequel la Commission n’est pas tenue de donner suite aux demandes des partenaires sociaux visant à mettre en œuvre ces accords.

Au-delà d’un dialogue social productif, la définition de grandes orientations en matière de SST requiert néanmoins de disposer d’un cadre réglementaire solide. Les accords aboutissant à des directives du Conseil à la demande des deux parties signataires semblent plus efficaces car ils garantissent des plans d’action concrets dans les États membres. À cette fin, le CESE demande de définir de nouvelles lignes directrices concernant le télétravail, d’adopter une position plus ambitieuse en matière de lutte contre le cancer et d’élaborer des directives européennes sur les troubles musculo-squelettiques (TMS) et les risques psychosociaux, lesquels sont en train de devenir une menace professionnelle majeure pour les travailleurs européens.

Le CESE a exposé son point de vue dans son avis sur  Le dialogue social comme outil en faveur de la santé et de la sécurité au travail, élaboré à la demande de la présidence française du Conseil de l’Union européenne pour déterminer si le dialogue social est efficace pour promouvoir la SST, et dans quelle mesure. Cet avis, consacré à la place du dialogue social au sein de la stratégie de l’Union en matière de SST pour la période 2021-2027, a été examiné lors de la session plénière du CESE de janvier.

Le groupe des employeurs du CESE a déposé plusieurs amendements à l’avis et ainsi fait part de ses objections, qui concernent notamment les appels à adopter de nouvelles dispositions réglementaires et, par exemple, l’invitation faite à l’Union de prendre des mesures relatives aux TMS et aux risques psychosociaux, ou encore d’élaborer de nouvelles lignes directrices sur le télétravail.

L’avis a été adopté par 172 voix pour, 32 contre et 70 abstentions.

Le dialogue social européen a déjà amélioré les conditions de travail des citoyens à plusieurs niveaux, que ce soit en réduisant le stress professionnel et en prévenant le harcèlement au travail, ou en réduisant le risque de troubles musculo-squelettiques ou d’exposition à des substances toxiques dans différents secteurs, a déclaré Franca Salis-Madinier, rapporteure de l’avis.

Les mesures de SST mises en œuvre grâce au dialogue social ne contribuent pas seulement à la santé des travailleurs, elles peuvent aussi améliorer la rentabilité des entreprises et réduire les coûts des soins et de l’absentéisme. Le coût que les blessures et les maladies liées au travail font peser sur la société est estimé à 476 milliards d’euros, soit 3,3 % du PIB de l’UE, ce qui représente plus de la moitié des fonds du plan de relance, a souligné Mme Salis-Madinier.

Au premier rang des risques professionnels: l’épuisement professionnel et la station assise prolongée

Force est de constater que la robotisation, l’intelligence artificielle, le travail à distance et les nouveaux modèles d’entreprise ont déjà commencé à bouleverser le monde du travail, avec d’inévitables répercussions sur la protection de la SST.

Les accidents du travail cèdent la place à une hausse des maladies professionnelles. Les chiffres montrent qu’entre 2000 et 2016, les décès dus aux cardiopathies et aux accidents vasculaires cérébraux causés par de longues heures de travail ont augmenté respectivement de 41 et 19 % à l’échelle mondiale. Les dépressions, elles aussi en hausse, peuvent être attribuées au travail dans 17 à 35 % des cas, signe de la progression des risques psychosociaux.

Les facteurs de risque physique évoluent également: les accidents du travail sont en légère baisse, alors que les TMS, principalement dus aux mouvements répétitifs des membres supérieurs ou au maintien prolongé en position assise, restent la principale cause d’incapacité de travail dans le monde. Ces données montrent qu’à l’heure actuelle, les travailleurs sont moins confrontés à des situations hautement dangereuses, mais plus exposés à des facteurs de risque de faible amplitude.

L’Union devrait dès lors entreprendre une analyse prospective complète et intégrée de la transition numérique, de façon à anticiper les bouleversements qui se profilent sur le marché du travail. Elle devrait élaborer une stratégie de SST à long terme et développer une culture de la prévention, comme l’a indiqué le CESE dans son avis.

La prévention est primordiale

Le dialogue social est incontournable pour atteindre les objectifs en matière de SST: anticiper et gérer les changements, renforcer la prévention et améliorer la préparation à d’éventuelles crises sanitaires futures. Toute politique de SST doit respecter le principe de prévention, être élaborée et mise en œuvre dans le cadre du dialogue social et s’appuyer sur des règles solides, bien que les membres du groupe des employeurs du CESE ne soient pas d’accord sur l’approche à adopter (la voie législative ou d’autres moyens repris ci-dessous, par exemple).

Le CESE estime que l’accord-cadre européen de 2002 en matière de télétravail n’est plus adapté aux nouvelles réalités induites par la pandémie, ni à la généralisation de ce mode de travail qui en a découlé.

Il conviendrait d’élaborer de nouvelles lignes directrices, en accordant une attention particulière à la prévention des risques psychosociaux et des TMS, dont la fréquence est appelée à augmenter à cause du télétravail. Les chiffres actuels montrent ainsi que 25 % des télétravailleurs se sentent, constamment ou la plupart du temps, épuisés émotionnellement par leur travail, ce qui est une caractéristique essentielle de l’épuisement professionnel.

Le CESE a demandé d’étendre les modalités d’intervention de l’inspection du travail en permettant le contrôle des conditions de télétravail, à la demande de l’employé et dans le respect de la réglementation relative à la protection de la vie privée. Ces contrôles devraient comprendre l’enregistrement de plaintes relatives au manque d’équipements adéquats ou au non-respect du droit à la déconnexion, entre autres. Le Comité a aussi réitéré son appui à la recommandation de l’OIT d’un inspecteur du travail pour 10 000 travailleurs et insisté sur la nécessité de renforcer le rôle des représentants syndicaux dans la SST.

En outre, le CESE a appelé à une législation européenne sur les risques psychosociaux, rendue nécessaire par la mise en œuvre incomplète de l’accord-cadre autonome de 2004 sur le stress au travail, que la pandémie n’a fait qu’exacerber. Cependant, une démarche de prévention efficace devrait se concentrer sur l’organisation du travail et non sur la santé mentale de l’individu, comme l’a souligné le CESE.

Sachant que les TMS demeurent le premier problème de SST dans l’Union, le CESE considère que l’élaboration à l’échelon européen d’une politique de prévention globale, durable et intégrée nécessite de réactiver le projet de directive sur les TMS.

Exprimant son regret de voir les travailleurs indépendants exclus du cadre stratégique, le CESE a insisté sur la nécessité de reconnaître les droits de ces travailleurs à la protection sociale ainsi que leurs droits à s’organiser, à être représentés et à négocier collectivement.

Concernant la lutte contre les cancers liés au travail, le CESE a conclu que l’Union devrait adopter une position plus ambitieuse, qui couvre les 50 agents cancérigènes prioritaires, les substances reprotoxiques, les médicaments dangereux, mais qui intègre aussi le stress et le travail posté, puisque ces deux facteurs accroissent le risque de développer un cancer.